La place de Paris l'attendait depuis plusieurs jours. Casino est officiellement passé jeudi sous le régime de la conciliation . Le Tribunal de commerce de Paris a nommé deux conciliateurs, Thévenot Partners (Maître Aurélia Perdereau) et BTSG (Maître Marc Sénéchal).
Marc Sénéchal a forgé sa réputation d'excellence dans les dossiers Veolia - Suez et Orpea. La dimension de l'affaire vaut ce déploiement de force. Casino entame la restructuration de 3,4 milliards de dette - un volume hors norme en France - représentant la part de l'endettement qui n'est pas garantie par des actions du groupe.
La procédure s'assimile à une médiation, au contraire de ce qui se passe lors d'une sauvegarde. La conciliation ne gèle pas les échéances. Elle dure cinq mois au maximum, sauf si un accord avec les créanciers intervient auparavant. Les détenteurs de dette sont répartis en plusieurs classes, selon leur statut - banques ou porteurs d'obligations-, et le montant de leurs créances. Un proche du dossier estime le nombre des acteurs qui comptent à environ 25. Pour valider la négociation, il faudra que les conciliateurs obtiennent l'accord des deux tiers d'entre eux.
« Réduction très substantielle »
Obtenir un accord est stratégique car il pourrait ouvrir la porte à une recapitalisation du groupe. Daniel Kretinsky a ainsi proposé une augmentation de capital de 1,1 milliard mais a posé comme condition préalable la « réduction très substantielle de la dette brute non sécurisée par voie de rachat en numéraire et de conversion en capital ». L'équation à résoudre est posée.
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« Chacun défendra ses intérêts, à coups de cris et de pleurs », prédit un proche du dossier. Casino garde la main lors de ces négociations. « Lors d'une conciliation, c'est la société qui propose un plan aux créanciers », explique un avocat. L'inverse ne vaut qu'en cas de redressement judiciaire. Le propriétaire de Monoprix n'en est pas là. Si la conciliation échoue, le Tribunal passera à l'étape sauvegarde. Seule une cessation de paiement déclencherait un redressement.
Le temps presse néanmoins. Casino a en effet brûlé 673 millions d'euros de cash au premier trimestre et tiré sur sa ligne de crédit de 2 milliards. Il reste de la réserve. Mais peu. Les créanciers le savent. S'ils rechignent, le risque d'une perte sèche augmentera. Le Tribunal de commerce appuiera le travail des médiateurs, comme le gouvernement via le Comité interministériel de restructuration (le Ciri). Le dossier est majeur pour l'Etat dans la mesure où Casino emploie 55.000 personnes en France. Urssaf, TVA, taxes diverses : en cas de défaillance, l'Etat se transformerait lui aussi en créancier.
Raconter une histoire
Reste que la négociation suppose un projet. Un créancier qui convertit sa créance en actions adhère à un modèle économique, à la promesse que la réduction de la dette écrasera les frais financiers et augmentera le résultat du groupe, lequel pourra ensuite faire face aux échéances qui subsistent. Au final, la part en actions conservée est censée valoir quelque chose.
Jean-Charles Naouri pousse à la convergence des offres de Daniel Kretinsky (associé à Fimalac) et celle de Teract (In Vivo, Zouari, Pigasse, Niel). Cela devient une nécessité avec la conciliation qui exige que le PDG et propriétaire de Casino présente un plan crédible de redressement aux prêteurs. « Notre offre n'est pas contradictoire avec le projet porté par Matthieu (Pigasse Ndlr), Xavier (Niel) et Moez (Zouari) », a affirmé Daniel Kretinsky au « Point ». Moez-Alexandre Zouari a déclaré qu'il ne s'opposait pas à ce que le milliardaire tchèque prenne le contrôle de Casino. Avec ses alliés, il ne s'intéresse qu'à la France.
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Problème : Thierry Blandinières, le directeur général d'In Vivo premier actionnaire de Teract, a critiqué dans « L'Opinion » l'offre de Kretinsky : « Nous considérons qu'il s'agit d'une offre qui peut être concurrente dans la mesure où nous souhaitons avoir le contrôle, et lui aussi », expliquait le patron de la grande coopérative céréalière.
Dose d'hostilité entre Kretinsky et Teract
« Il ne peut pas y avoir deux personnes qui prennent le contrôle » commente un observateur. Le scénario d'une offre de reprise combinée pourrait se heurter à la désunion du quatuor Teract. La parole de Thierry Blandinières porte. Il détient en effet la majorité de Teract. Pour l'heure, c'est lui qui tient le chéquier. Encore plus depuis que Intermarché qui à un moment était lié à Teract a conclu seul, de son côté, un accord de rachat de magasins détenus par le groupe Casino.
Matthieu Pigasse et Xavier Niel mettront-ils la main à la poche pour amadouer leur partenaire et faire patienter ses ambitions ? Jean-Charles Naouri oeuvrera au rapprochement des positions. La persistance d'une certaine dose d'hostilité entre Daniel Kretinsky et Teract servira cependant ses intérêts. Elle le mettrait dans la position d'un arbitre et lui conserverait ainsi un rôle éminent.